On n’a jamais autant déguisé son chat que depuis l’essor des réseaux sociaux.
Pour quelques likes, pour impressionner ou pour faire rire leurs followers, beaucoup de personnes habillent leur chat (et autres animaux domestiques, les chiens et les lapins, par exemple, en font aussi les frais !) de tenues improbables.
Si cette pratique est particulièrement populaire à Halloween et à Noël, périodes pendant lesquelles les vidéos sur multiplient sur internet, elle est malheureusement présente tout au long de l’année.
Une pratique banalisée
Je suis persuadée que beaucoup de gens ne pensent pas à mal, ou n’ont en tout cas pas conscience de ce qu’ils infligent à leur chat, lorsqu’ils leur font porter des costumes ou des accessoires.
Peut-être avez-vous vous-même mis un jour un déguisement à votre chat, juste quelques minutes, pour une petite photo ou une courte vidéo. Sans doute n’avez-vous pas décelé de signes de stress, pensé que ça ne gênait pas votre chat, ou estimé que ça n’était pas si problématique ou préjudiciable à son bien-être.
Il faut dire que ces déguisements, spécifiquement destinés aux chats, laissent à penser qu’il s’agit de produits adaptés, puisque conçus pour eux, et qui ne peuvent donc pas leur faire de mal. Porter des vêtements est pourtant quelque chose de totalement contre-nature pour le chat, et c’est toujours dans son propre intérêt (en l’occurrence plutôt frivole), et jamais dans celui du chat, que l’humain lui en fait porter – et bien sûr par intérêt commercial que de nombreuses boutiques vendent aujourd’hui ce genre d’accessoires !
Quant aux réseaux sociaux, ils contribuent bien évidemment à normaliser ce type de pratique :
«Si tant de gens le font, ça ne peut pas être une mauvaise chose.»
«Plein de chats ont l’air de le supporter, pourquoi pas le mien ?»
«Ça a l'air trop marrant, moi aussi j’aimerais bien essayer avec mon chat.»
«Ouah il est trop cool ce chat en costume de lion, j’en veux un pour le mien !»
Chaque vidéo, chaque like, chaque partage contribue à rendre ces actes populaires et à les banaliser. Face à la quantité de contenus et à la puissance des modes, il n’est pas toujours facile de faire un pas de côté pour se poser les bonnes questions, et de ne pas céder à la tentation de faire comme les autres pour rejoindre l’effet de masse des trends en vogue – au risque d’oublier qu’on se sert pour cela d’un être vivant et sensible.
Le chat, cet animal méconnu
Il est normal que tout le monde ne connaisse pas le fonctionnement du chat, ses besoins, ses moyens de communication, et tous les signes qui témoignent de son état émotionnel. Aimer son chat ne permet pas malheureusement pas d’accéder spontanément à une connaissance infuse de tout ce qui le concerne, et si certains humains font le choix de consulter un(e) comportementaliste, c’est justement pour apprendre et faire ce pas vers lui. J’ai moi-même dû me former et continue de le faire, et je ne sais pas tout, loin de là – le vivant est un sujet d’étude permanent.
Il n’est donc pas rare qu’on ne sache pas percevoir le malaise de notre chat dans certaines situations, ou qu’on interprète mal ses comportements. Pourtant, pour l’œil averti, le malaise et la détresse sautent souvent aux yeux sur les photos et vidéos partagées sur les réseaux : mydriase (pupilles dilatées), position des oreilles (sur le côté ou en arrière), corps ramassé, léchage de babines, bâillement, queue qui remue, léchage compulsif, regard fuyant… sont autant de signes que le chat n’est pas à l’aise, voire qu’il subit un stress très important.
Quant au ronronnement, s'il est souvent interprété à juste titre comme un signe de bien-être ou de contentement, il peut aussi dans certains contextes exprimer un stress et représenter pour le chat une tentative d'auto-apaisement. En outre, certains chats ont été habitués à recevoir des friandises après les séances de déguisement et peuvent tout simplement ronronner par anticipation. Ce qui ne veut pas pour autant dire qu'ils passent un bon moment...
Certains des signes de stress chez des chats déguisés
Non-réaction = approbation ?
Au-delà des signes d’inconfort et de stress qui ne sont pas toujours décelés ou bien interprétés, la méconnaissance dont le chat est victime mène à d’autres types de malentendus.
Je pense notamment à l’immobilité, qui est souvent perçue comme une forme d’approbation.
«Il se laisse faire, c’est que ça ne le dérange pas.»
«S’il ne voulait pas que je le déguise, il se débattrait.»
Mais face à une menace, à un élément stressant, le chat peut adopter, en fonction de son profil ou de ses expériences passées, différents types de comportements : fuir, attaquer… ou se figer. C'est d'ailleurs parfois ce qui se passe chez le vétérinaire ou le toiletteur, et on croit souvent à tort que cela signifie que le chat n'est pas stressé.
Si votre chat est de nature inhibée, craintive, il aura tendance à ne plus bouger en attendant la fin de cette expérience désagréable voire traumatisante.
Et s’il a été déguisé de nombreuses fois, qu’il s’est débattu, qu’il a essayé de retirer les vêtements sans succès, il est alors dans ce qu’on appelle «l’impuissance apprise» (ou résignation acquise) : ses efforts passés ayant été vains, votre chat s’est tout simplement résigné à subir son triste sort. Mais c’est loin de signifier qu’il vit bien de porter des costumes ! Tout comme un chien qui a subi des mauvais traitements à répétition et qui ne réagit plus, votre chat a tout simplement cessé de rentrer dans un combat perdu d’avance…
Le fait que le chat se laisse faire ne doit donc à aucun moment être pris pour un «oui», et tous les autres signes qu’il exprime doivent être observés et analysés avec attention.
Banalisation, biais cognitifs et déni : un chemin tout tracé vers la maltraitance
Après avoir creusé longuement le sujet afin de réaliser un réel sur ce thème, et visionné avec difficulté et le cœur serré de nombreuses vidéos, j’ai aussi découvert beaucoup de séquences dans lesquelles le malaise du chat est pour le coup évident : il fuit, se cache, se débat, se roule sur le sol, feule, miaule, grogne, mord, griffe, se laisse tomber sur le côté…
En bref, il utilise tous les moyens félins à sa disposition pour exprimer clairement son refus d’être manipulé, ou pour essayer de retirer les accessoires qui l’entravent. Le message semble clair, et pourtant… Les humains insistent, et ces comportements provoquent même souvent l’hilarité.
Mais derrière ces images qui peuvent sembler légères ou rigolotes se cache en réalité une maltraitance si banalisée qu’elle n’est plus perçue comme telle. Lorsque l’on voit des photos et des vidéos si souvent qu’elles s’imprègnent dans notre inconscient, cela peut rapidement devenir une sorte de norme. Dès lors, on n’a plus de recul sur ce qui se joue.
Mais transposons cette situation sur un enfant : l’attraper de force alors qu'il tente de fuir, s’y mettre à deux pour le tenir pendant qu’on lui enfile les accessoires, le filmer en riant alors qu’il crie, se débat, essaye de les retirer… Tout d’un coup la violence de la scène nous saute aux yeux. Et il n'y a plus rien de mignon dans tout ça.
Et même si chat et humain sont bien sûr deux espèces différente, on réalise soudain que ce qu’on inflige à notre chat va tout autant à l’encontre totale de son bien-être et nie son statut d’être sentient.
Les biais cognitifs sont parfois puissants : cette normalisation, mais aussi le fait qu’on a tellement envie de voir notre chat dans cet adorable petit costume de citrouille ou de père Noël, la course à l’appréciation du public sur les réseaux… nous enferment dans une forme de déni. Déni de l’intégrité physique du chat, déni de son refus, déni de son mal-être.
Beaucoup de personnes qui déguisent leur chat affirment pourtant haut et fort les aimer, mais il y a clairement plusieurs façons d’aimer. Pour moi, aimer un animal, c’est le respecter pour ce qu’il est, c’est être responsable, c’est accepter de ne pas satisfaire ses propres envies au détriment de son bien-être.
Les impacts négatifs du déguisement
Au-delà du fait qu’un chat n’est tout simplement pas fait pour porter des vêtements, et qu’il n’y a aucun intérêt pour lui à être déguisé, plusieurs raisons expliquent que cette pratique soit particulièrement stressante pour lui et puisse impacter son bien-être.
Restrictions motrices et sensorielles
Tout d’abord, il faut avoir conscience du double statut de «prédateur-proie» du chat. Si le chat est un excellent chasseur, il est en effet lui-même susceptible d’être chassé, et cela joue un rôle très important dans son fonctionnement et dans sa perception du monde qui l’entoure.
Pour pouvoir fuir en cas de danger, le chat doit être libre de se mouvoir, de courir, de grimper, de se cacher… Toute forme de contrainte est donc généralement très mal vécue par le chat, et la restriction de mouvements impliquée par un déguisement génèrera bien souvent un stress intense, le chat se sentant vulnérable et incapable de s’échapper en cas de besoin.
En outre, les déguisements impactent ses capacités sensorielles en obstruant sa vue ou son ouïe, par exemple. Dès lors, le chat ne pourra plus pleinement percevoir son environnement, ce qui pourra provoquer un fort sentiment d’insécurité. Il faut savoir par ailleurs que les moustaches du chat sont extrêmement sensibles, et que tout accessoire qui les touche ou les entrave peut être très gênant, voire douloureux pour lui.
Risques et dangers
Les déguisements pour chats sont bien souvent de mauvaise qualité, constitués de matières synthétiques et peu respirantes comme le polyester. Aucune norme n’existant dans ce domaine, ces tissus peuvent en outre être traités ou colorés avec des produits chimiques potentiellement nocifs pour votre chat, chez qui cela pourra occasionner des démangeaisons voire des allergies.
Par ailleurs, certains costumes sont composés de petits éléments décoratifs qui peuvent être ingérés par le chat : boutons, ficelles, grelots, boucles… Au-delà des troubles gastro-intestinaux qu’implique l’ingestion de matières non-comestibles, le risque majeur est ici l’occlusion intestinale, qui peut mettre en danger le pronostic vital du chat si elle n’est pas décelée à temps.
L’importance de l’olfactif
Le chat évolue dans un monde où l’olfactif est prépondérant. Son odorat est en effet bien plus développé que le nôtre, environ 50 à 70 fois plus. Les odeurs synthétiques, de «neuf», souvent fortes, de ces déguisements, peuvent être déstabilisantes pour lui, et pourront subsister sur son corps et ses poils longtemps après qu’on l’aura libéré de son costume. Le chat pourra donc passer beaucoup de temps à se lécher pour recouvrir ces odeurs désagréables avec les siennes, voire se toiletter de manière excessive ou compulsive.
Les problèmes de cohabitation
Il n’est pas rare qu’un chat déguisé ne soit pas reconnu par son congénère. Son apparence et son odeur étant modifiées par le port du costume, le compagnon de vie avec qui il cohabite habituellement de façon harmonieuse pourra en effet le percevoir comme un chat inconnu, et donc comme un potentiel danger.
Cela occasionnera ainsi beaucoup de stress de part et d’autre : le congénère sera stressé par ce chat qu’il ne reconnaît pas ; le chat déguisé sera stressé parce qu’il ne comprend pas pourquoi son compagnon le menace ou l’attaque, et ce d’autant plus qu’il n’est pas en état de se défendre ou de fuir puisqu’il est entravé dans ses mouvements.
Il peut même arriver, comme j’ai pu le voir sur certaines vidéos, qu’un des autres chats attaque violemment son compagnon déguisé. Au-delà des risques de blessures, l’impact sur la cohabitation pourra alors aller bien plus loin et marquer un tournant dans la relation entre ces chats : une violente bagarre peut constituer un précédent qui mettra à mal le partage du domaine de vie à l’avenir.
L’impact sur le relationnel
Bien évidemment, le fait de forcer son chat, de le manipuler contre son gré, pourra impacter la relation avec son humain. L’instinct de survie du chat implique que toute expérience négative reste bien souvent fortement ancrée, et la personne responsable y sera de facto associée. Mettant à mal le lien de confiance, l’humain peut alors devenir un facteur de stress et contribuer à créer un environnement insécurisant pour son chat.
À la suite de cette expérience, et ce d’autant plus qu’elle est répétée, le chat pourra parfois devenir plus fuyant, avoir tendance à éviter ses humains, à moins solliciter de contacts. Dans certains cas, si l’expérience a été particulièrement traumatisante, il pourra même les craindre et se cacher à leur approche, voire les attaquer par anticipation.
Une des conséquences indirectes sera de rendre plus difficiles d’autres manipulations ultérieures, fort utiles cette fois, comme des soins spécifiques ou la prise de médicaments. Un long travail devra alors être mis en place pour tenter de rattraper les choses et de rétablir la confiance.
En conclusion, un seul mot : consentement
Toute relation saine et respectueuse avec un animal devrait reposer sur un consentement systématique. Que ça soit dans nos échanges affectifs (comme j’en parlais dans cet article) ou pour tout autre contact ou manipulation, notre chat devrait avoir son «miaou» à dire.
Nos animaux ne sont pas des peluches, des accessoires de mode ou des faire-valoir destinés à nous rendre populaires sur les réseaux.
Ils sont des êtres vivants, doués d’émotions, dont nous avons la responsabilité. C’est donc notre rôle de veiller à leur bien-être, de leur permettre d’évoluer dans un cadre sécurisant et de construire avec eux une relation de confiance.
Est-ce que quelques likes valent le coup de compromettre tout ça ?
J’espère de tout coeur que cet article vous aura convaincu du contraire.
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