Au fait, c'est quoi... la contagion émotionnelle?
- justineauster
- 9 juin 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 oct.

Les psychologues définissent la contagion émotionnelle comme le transfert d’états affectifs d’un individu à l’autre, de manière rapide et non consciente. Ce mimétisme serait une composante fondamentale de la proximité sociale, et jouerait un rôle évolutionniste dans la survie du groupe, permettant par exemple d’alerter rapidement d’un danger via la transmission immédiate d’une émotion de peur.
Ce processus de résonance émotionnelle est rendu possible par ce qu’on appelle les «neurones-miroirs», vous savez, ceux impliqués dans la communication du bâillement. Pour en savoir plus sur ce thème, je vous invite d'ailleurs à visionner cette excellente conférence TED sur le sujet.
Découverts d’abord chez le macaque (1), ces neurones, aujourd’hui mis en évidence chez de nombreuses autres espèces, y compris chez l’humain, présentent la particularité de s’activer de manière similaire lorsqu’une action est réalisée, observée, voire simplement imaginée. Concrètement et en lien avec le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, cela veut dire que le fait de voir une personne triste peut susciter chez nous une émotion semblable.
La contagion émotionnelle est toutefois à distinguer de l’empathie, et peut en réalité être considérée comme une composante «automatique» du processus empathique, qui implique, lui, une dimension cognitive et la conscience d’une différentiation soi/autre. On peut par ailleurs faire preuve d’empathie sans pour autant qu’il y ait de contagion émotionnelle: si votre ami a le vertige, mais que vous ne souffrez pas vous-même de la peur du vide, vous pouvez malgré tout vous mettre conceptuellement à sa place.
Concernant la relation humain-animal, il est aujourd'hui prouvé que cette contagion émotionnelle s’opère de manière interspécifique, c’est-à-dire entre des espèces différentes. Cette transmission d’émotions peut prendre différentes formes:
- une communication visuelle et auditive, en lien avec notre posture, nos mimiques faciales, notre voix: une étude a par exemple montré que des chiens pouvaient réagir de façon physiologiquement identique aux humains s’ils sont confrontés à des pleurs d’enfants, et présentaient notamment un niveau de cortisol plus élevé (2)
- une communication olfactive, à travers des «chimiosignaux»: il a ainsi été prouvé que les chiens pouvaient discriminer nos odeurs corporelles «émotionnelles», et montrer une fréquence cardiaque plus rapide et une tendance à se rapprocher de leur gardien s’ils étaient confrontés à des odeurs humaines de «peur» (3).
La contagion émotionnelle, comme de nombreux autres sujets, a été peu explorée chez nos chers petits félins domestiques. En outre, le terme de "contagion émotionnelle" est souvent utilisé de manière large dans le langage courant, mais il a un sens plus restreint dans le domaine scientifique, tel que précisé en introduction.
Chez le chien, plusieurs études expérimentales montrent comme nous venons de le voir une transmission interspécifique d’états affectifs : l’animal manifeste des réponses physiologiques ou comportementales cohérentes avec les émotions perçues chez l’humain (par exemple la peur ou la détresse).
Chez le chat, la situation est différente. Les recherches ne démontrent pas encore une contagion émotionnelle au sens strict, mais elles indiquent que nos compagnons reconnaissent certaines émotions humaines (4) et modifient leurs réponses en conséquence. Autrement dit, il serait exagéré d’affirmer que le chat "ressent exactement la même émotion que nous" par contagion. En revanche, il est bien établi (5) que nos états affectifs influencent directement ses comportements, modulent la dynamique des interactions quotidiennes et peuvent avoir un impact sur son bien-être.
Une récente étude (6) a même constaté que les chats d’humains ayant des scores élevés de névrosisme – c’est-à-dire une prédisposition à ressentir des émotions négatives – développaient plus facilement des maladies liées au stress ou des comportements anxieux et agressifs. Même si certains biais peuvent, comme c’est souvent le cas, influencer ces résultats, ces derniers vont dans le sens d’autres études menées chez le chien (7;8), mais aussi de ce qui est constaté sur le terrain par de nombreux professionnels du comportement félin…
… et peut-être même par vous! Vous avez en effet peut-être déjà remarqué que votre chat pouvait se montrer agité, voire vous mordre ou vous griffer, lors d’une dispute, par exemple? Votre compagnon félin ne vient pas dans ces moments-là prendre parti pour vous ou votre conjoint(e) 😅 Il réagit simplement au climat tendu qu’il perçoit autour de lui.
La contagion émotionnelle interspécifique est donc aujourd’hui largement démontrée, et son intensité serait directement liée au lien d’attachement qui existe entre l’humain et son animal: un chat très proche de son gardien serait ainsi plus susceptible de ressentir fortement ses émotions.

Si j’aborde aujourd’hui cette question, ça n’est pas bien sûr pour vous dissuader de ressentir des émotions, et encore moins pour vous culpabiliser. Les émotions, positives comme négatives, font partie intégrante de nos vies, et il ne serait ni sain ni réaliste de tenter de les étouffer ou de les dissimuler.
L'essentiel est plutôt de prendre du recul et de garder à l'esprit l’impact que nos états émotionnels peuvent avoir sur notre chat. Pour comprendre ses réactions, d’abord, et se montrer vigilant face aux signes de stress qui pourraient apparaître chez lui ; mais aussi pour préserver au maximum son bien-être – surtout si votre compagnon est particulièrement sensible et/ou proche de vous.
En période de stress (déménagement, surcharge de travail...), de fragilité émotionnelle (deuil, séparation...) ou de tensions dans le foyer (ça nous arrive à tous!) , on peut par exemple lui offrir, dans la mesure du possible, l’opportunité de se réfugier dans un lieu calme où il ne sera pas confronté directement à nos pics émotionnels, tout en lui proposant des occupations et enrichissements pour l'aider à évacuer ses propres tensions.
Enfin, il est important de veiller à ne pas faire peser sur les petites épaules de notre chat un besoin affectif excessif, qui, s’il est compréhensible lors de moments difficiles, ne doit pas être comblé au détriment de son intégrité physique et du respect de ses limites. 🖤
(1) Rizzolatti, G., Camarda, R., Fogassi, L. et al. (1988). Functional organization of inferior area 6 in the macaque monkey. Experimental Brain Research 71:491-507.
(2) Yong M. H., Ruffman T. (2014). Emotional contagion: dogs and humans show a similar physiological response to human infant crying. Behavioural Processes, 108:155-165.
(3) D’Aniello, B., Semin, G.R., Alterisio, A. et al. (2018). Interspecies transmission of emotional information via chemosignals: from humans to dogs (Canis lupus familiaris). Animal Cognition 21. 67-78.
(4) Quaranta, A., d’Ingeo, S., Siniscalchi, M. (2020). Emotion recognition in cats: the role of valence and sensory modality. Animals, 10(6), 951.
(5) Weld, M. et al, Factors inluencing the temporal patterns of dyadic behaviours and interactions between domestic cats and their owners, Behavioural Processes 86, 2011, 58-67.
(6) Finka, L. R., Ward, J., Farnworth, M. J., Mills, D. S. (2019). Owner personality and the wellbeing of their cats. BMC Psychology, 7, 31.
(7) Schöberl, Iris & Wedl, Manuela & Bauer, Barbara & Day, Jon & Möstl, Erich & Kotrschal, Kurt. (2012). Effects of Owner–Dog Relationship and Owner Personality on Cortisol Modulation in Human–Dog Dyads. Anthrozoos: A Multidisciplinary Journal of The Interactions of People & Animals, 25. 199-214.
(8) Sundman, Ann-Sofie & Van Poucke, Enya & Svensson, Ann-Charlotte & Faresjö, Åshild & Roth, Lina S V. (2019). Long-term stress levels are synchronized in dogs and their owners. Scientific Reports, 9.






